Vigipol - Défendre les intérêts des collectivités littorales face aux risques issus du transport maritime
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Faire condamner les pollueurs

Pollutions accidentelles

23 ans après l’Erika et 20 ans après le Prestige, en l’absence de grandes pollutions récentes sur les côtes bretonnes, le plus grand risque est de croire que le risque n’existe plus. Les mesures de prévention adoptées en réaction à ces événements ont certes permis d’éviter nombre de catastrophes, mais des accidents continuent de se produire régulièrement. D’autres types de pollutions sont apparus. Et le pétrole n’est sans doute pas le pire qui puisse arriver.

Il est donc indispensable d’entretenir la conscience et la mémoire du risque pour rester vigilants et continuer de se préparer face aux risques issus du transport maritime qui constituent un risque majeur pour la Bretagne.

Honduras Star : carcasse conteneur à Locquémeau (Décembre 2007) - Vigipol
Honduras Star : carcasse conteneur à Locquémeau, Décembre 2007
(Source : ©️ Vigipol)

Erika

Le 11 décembre 1999, le pétrolier Erika, battant pavillon maltais chargé de 30 884 tonnes de fioul lourd fait face à un très gros temps avec des creux de six mètres et un vent de force 8/9. À quelques dizaines de miles de la Pointe de Penmarc’h, le 12 décembre 1999, l’Erika se brise en deux déversant 20 000 tonnes de fioul lourd en mer. Les 11 000 tonnes restantes seront pompées dans l’épave.

Naufrage de l’Erika
(Source : ©️ Marine nationale)

Le pétrole arriva à la côte le 24 décembre, funeste cadeau de Noël, souillant massivement plus de 400 km de côtes, du Pays Bigouden (29) à l’île d’Oléron (17). Au cours des premiers mois, des arrivages de pétrole parvinrent régulièrement à la côte, remettant la plupart du temps en cause les efforts de nettoyage déjà entrepris. Les opérations de nettoyage du littoral débutèrent immédiatement et se poursuivirent jusqu’à l’été 2002, tandis que le traitement des déchets dura jusqu’en août 2004.

Cartographie de la pollution causée par le naufrage de l’Erika
(Source : ©️ Sophie Bahé)

Un feuilleton judiciaire de 13 ans

En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné, dans son arrêt du 16 janvier 2008, la société propriétaire du navire, le dirigeant de la société chargée de la gestion technique, la société de classification RINA et la société Total SA (propriétaire du fioul) pour délit de pollution des eaux ou voies navigables françaises.

En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné, dans son arrêt du 16 janvier 2008, la société propriétaire du navire, le dirigeant de la société chargée de la gestion technique, la société de classification RINA et la société Total SA (propriétaire du fioul) pour délit de pollution des eaux ou voies navigables françaises.
Le nombre de parties au procès reflète l’ampleur de la pollution : 23 pages de parties civiles en première instance dont un certain nombre de collectivités et leurs groupements (communes, départements, régions, Vigipol), des associations (LPO, Robin des bois) ou encore des particuliers et entreprises.

La Cour d’appel de Paris a, par la suite, confirmé dans un arrêt du 30 mars 2010 le jugement de première instance sur l’action publique. Toutefois, elle a retenu la qualification d’affréteur pour la société Total SA lui faisant ainsi bénéficier de l’immunité de responsabilité civile relative à l’obligation à la dette instituée par le droit international. Suite à cette décision, les parties civiles et les prévenus se sont pourvus en cassation.

En dernière instance, la Cour de cassation, dans sa décision du 25 septembre 2012, casse l’arrêt de la Cour d’appel pour ne pas avoir retenu la faute de Total SA et confirme la reconnaissance du préjudice écologique. C’est un total de 200,6 millions d’euros de dommages et intérêts qui seront alloués aux parties civiles.

Quel bilan 23 ans après ?

  • Une marée noire singulière

Une durée extrêmement longue des opérations de lutte (deux ans et demi pour le nettoyage, quatre ans et demi pour le traitement des déchets), dimension européenne de la prise de conscience générée.

  • L’illusion d’un risque qui semblait révolu

La réglementation POLMAR du 17 décembre 1997 donna aux autorités l’illusion d’être prêtes au cas où. Cependant, cette nouvelle réglementation était bien loin d’être intégrée lorsque survient le naufrage de l’Erika. La gestion de crise mit en avant les limites du plan POLMAR et l’impréparation des autorités françaises. Pour les acteurs impliqués dans la lutte, ce fut un véritable électrochoc. Une réforme de fond du système POLMAR fut rapidement lancée et aboutit à la réglementation du 4 mars 2002. Cependant, les opérations de nettoyage de l’Erika à peine achevées, le naufrage du Prestige vint de nouveau ébranler le plan POLMAR.

Prestige

Naufrage du Prestige
(Source : ©️ Le marin)

Le 13 novembre 2002, le Prestige, un pétrolier battant pavillon des Bahamas, chargé de 77 000 tonnes de fioul lourd est pris dans une tempête au large de la Galice (Espagne). Une brèche de 50 m s’est formée dans la coque puis, le Gouvernement espagnol ayant décidé d’éloigner le navire des côtes, ce dernier a fini par se briser à 270 km des côtes et à sombrer par 3 500 m de fond le 19 novembre 2002.

Le naufrage a provoqué la perte de 64 000 tonnes de fioul polluant les côtes portugaises, espagnoles et françaises du Pays basque à la Bretagne. L’étendue de la pollution a touché plus de 1 500 sinistrés représentés par une cinquantaine de parties civiles dont un certain nombre de collectivités publiques françaises (région Bretagne, Vendée, département des Landes). L’affaire a mis dix ans à être instruite et a débouché sur son transfert devant la justice espagnole.

Audiencia Provincial de La Corogne, 13 novembre 2013 : Une première décision d’acquittement jugée scandaleuse et inquiétante

Le 16 octobre 2012, le procès s’ouvre : 1 500 plaignants dont 41 français, regroupés en 45 parties civiles, un dossier de plus de 300 000 pages, 133 témoins, quatre accusés. La première audience est consacrée aux questions de procédure (recevabilité des parties civiles, irrégularités, exceptions de procédure, etc.).

Le 13 novembre 2013, l’Audiencia Provincial :

  • acquitte les prévenus (capitaine, chef mécanicien, directeur général de la marine marchande de l’Espagne et l’officier en second) de l’infraction d’atteinte à l’environnement et aux espaces naturels protégés en raison de l’absence de certitude sur les causes de l’avarie et sur le fait qu’éloigner le navire des côtes ait été une décision imprudente ;
  • retient l’irresponsabilité pénale du capitaine, du chef mécanicien et du fonctionnaire espagnol impliqué dans la décision d’éloigner le navire au motif qu’ils ne pouvaient pas avoir connaissance du mauvais état du navire ;
  • condamne le capitaine à 9 mois d’emprisonnement pour désobéissance grave à l’autorité pour avoir refusé en premier temps un remorquage vers le large et fait peser sur l’assureur la prise en charge de l’indemnisation des dommages causés.

Suite à cette décision, Vigipol dénonce dans un communiqué de presse cette décision d’acquittement de la justice espagnole : une décision scandaleuse et inquiétante après ces dix ans d’instruction et huit mois d’audience. Le Syndicat mixte retient qu’il est étonnant de constater que le propriétaire et les responsables de l’exploitation et de l’entretien du navire ne soient pas poursuivi. Selon lui, il est incompréhensible que la justice espagnole les acquitte alors même que de nombreuses fautes ont été mises en lumière au cours des audiences. Enfin, Vigipol considère inconcevable qu’aucun responsable n’ait été identifié et sanctionné pour une telle marée noire. Cette décision va à l’encontre de la prévention des accidents maritimes et remet en cause le droit des victimes à obtenir réparation.

Suite à cette décision, le Parquet espagnol et l’Etat français décident de déposer un recours devant la Cour suprême espagnole visant à obtenir la reconnaissance de la responsabilité pénale du capitaine et de l’équipage du navire afin d’obtenir la réparation des dommages au civil.

Cour suprême espagnole, 14 janvier 2016 : L’ultime décision, une marée noire qui ne restera finalement pas sans responsable

Contre toute attente, plus de 13 ans après le naufrage, la Cour suprême espagnole retient dans son arrêt du 14 janvier 2016 :

  • condamne le capitaine à deux ans de prison pour « atteinte à l’environnement par imprudence » ;
  • confirme l’acquittement de l’ancien directeur de la marine marchande espagnole et du chef mécanicien ;
  • juge l’assureur et le propriétaire civilement responsables de la marée noire car ils ne pouvaient ignorer les risques au vu de l’état du navire ;
  • déclare le FIPOL civilement responsable : les victimes pourront donc se tourner vers lui pour obtenir réparation de leurs dommages dans la limite du montant prévu par la Convention CLC de 1992 sur la responsabilité civile qui régit la responsabilité des propriétaires de navires au titre des dommages de pollution par les hydrocarbures.

Vigipol se réjouit que plus de 13 ans après le naufrage, des responsables soient donc enfin réellement reconnus dans la survenue de la marée noire.

Renvoyée devant l’Audiencia Provincial de La Corogne pour statuer sur les intérêts civils, celle-ci octroye, dans son arrêt du 15 novembre 2017, 1,573 milliards d’euros à l’Etat espagnol et 61 millions d’euros à l’Etat français et seules 272 parties civiles ce sont vues attribuer une indemnisation. Or, les préjudices étaient estimés à plus de 4,1 milliards d’euros dont 3,8 milliards d’euros pour l’État espagnol et 109 millions d’euros pour l’ensemble des victimes françaises.

Un conflit parallèle entre le London P&I Club, le Royaume-Uni et le Royaume d’Espagne

En parallèle du procès pénal espagnol, l’assureur du navire, le London Stream-Ship Owners’ Mutual Insurance Association Limited (ci-après London P&I Club) a engagé une procédure d’arbitrage à Londres, le 16 janvier 2012 considérant que :

  • en application de la clause compromissoire figurant dans le contrat d’assurance conclu avec les propriétaires du Prestige, l’Espagne était tenu de présenter ses demandes au titre de l’article 117 du code pénal espagnol dans le cadre de cet arbitrage
  • sa responsabilité ne pouvait être engagée à l’égard de l’Espagne en ce qui concerne ces demandes, car le contrat d’assurance stipulait que, conformément à la clause « pay to be paid », la personne assurée doit d’abord payer à la victime les indemnités dues avant de pouvoir en recouvrer le montant auprès de l’assureur.

Le 13 février 2013, le tribunal arbitral anglais rend sa sentence :

  • étant donné que les demandes du Royaume d’Espagne étaient de nature contractuelle selon le droit international privé anglais, le droit anglais s’appliquait au contrat ;
  • l’Espagne ne pouvait dès lors se prévaloir des droits contractuels des propriétaires sans respecter tant la clause compromissoire que la clause « pay to be paid » ;
  • les demandes indemnitaires introduites par l’Espagne devant les juridictions espagnoles auraient dû l’être dans le cadre de l’arbitrage à Londres, que la responsabilité du London P&I Club ne pouvait être engagée à l’égard du Royaume d’Espagne en l’absence de paiement préalable à celui-ci des dommages par les propriétaires du navire et que, en tout état de cause, cette responsabilité ne pouvait dépasser, conformément aux stipulations du contrat d’assurance, un milliard de dollars américains (USD) (environ 900 000 000 €)

Suite à cette sentence arbitrale, le London P&I Club, saisit la High Court of Justice afin qu’elle autorise l’exécution de la sentence arbitrale sur le territoire national de la même manière qu’un arrêt ou une ordonnance et qu’elle rende un arrêt reprenant les termes de la sentence.

Le 22 octobre 2013, la High Court of Justice prend une ordonnance laquelle autorise le London P&I Club à faire exécuter la sentence arbitrale du 13 février 2013 et rend un arrêt reprenant les termes de cette sentence.

Le 1er avril 2015, suite à l’ordonnance du 22 octobre 2013 de la High Court of Justice, l’Espagne fait appel devant le Court of Appeal, laquelle rejette son appel.

Le 25 mars 2019, l’Espagne fait une requête auprès de la High Court of Justice laquelle demande la reconnaissance, par le Royaume-Uni, de l’ordonnance d’exécution du 1er mars 2019 qui détermine les montants d’indemnisation pour chaque demandeur et ordonne notamment l’exécution de la condamnation du P&I Club à la réparation des dommages causés. Suite à cette requête, le 28 mai 2019, la High Court of Justice fait droit à sa demande. Décision, contre laquelle le London P&I Club fait un recours.

Le 29 juin 2019, le London P&I Club saisit la juridiction de renvoi d’un appel contre l’ordonnance du 28 mai 2019 au motif que :

  • l’ordonnance d’exécution du 1er mars 2019 est inconciliable, au sens de l’article 34, point 3, du règlement n°44/2001, avec l’ordonnance et l’arrêt du 22 octobre 2013 rendus en application de l’article 66 de la loi de 1996 sur l’arbitrage et confirmés le 1er avril 2015 par la Court of Appeal ;
  • en tout état de cause, il a fait valoir, en se fondant sur l’article 34, point 1, de ce règlement, que la reconnaissance ou l’exécution de cette ordonnance d’exécution serait manifestement contraire à l’ordre public, notamment au regard du principe de l’autorité de la chose jugée.

Quant à elle, l’Espagne conclu au rejet de l’appel.

Finalement, le 22 décembre 2020, la High Court of Justice considère que l’affaire au principal soulève des questions et décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) la question préjudicielle suivante : un arrêt rendu par la juridiction britannique est-il susceptible de constituer une décision au sens de l’article 34, point 3 du Règlement « Bruxelles I » qui ferait obstacle à la reconnaissance de la décision espagnole ?

Enfin, le 20 juin 2022, la CJUE rend sa décision laquelle retient en somme que :

  • dans certaines circonstances, l’arbitrage initié dans un État membre ne peut pas bloquer la reconnaissance d’un arrêt rendu dans un autre État membre ;
  • un arrêt reprenant les termes d’une sentence arbitrale peut constituer une « décision » à condition que la sentence arbitrale en question ait été rendue dans le respect des dispositions et objectifs fondamentaux du Règlement

En l’espèce, le contenu de la sentence arbitrale n’aurait pas pu faire l’objet d’une décision judiciaire relevant du champ d’application du Règlement « Bruxelles I » puisque cela aurait entraîné le risque de la violation des « règles fondamentales » de ce règlement, à savoir, l’effet relatif des clauses compromissoires insérées dans un contrat d’assurance et la litispendance (point 59).

TK Bremen

Le TK Bremen est un cargo maltais qui, pris en pleine tempête et faute d’avoir pu tenir son mouillage à l’île de Groix, s’est échoué sur la plage de Kerminihy à Erdeven (56) le 16 décembre 2011. Cet accident entraîna une pollution par hydrocarbures aux abords du navire et à l’entrée de la ria d’Étel ainsi que le démantèlement du navire sur place. Cet échouement c’est aussi 112 tonnes d’hydrocarbures dispersés en mer, trois nappes de fioul et 10 000 personnes qui sont venues en un weekend voir le navire échoué à l’entrée de la ria d’Étel, piétinement massif qui a dégradé une dune classée Natura 2000.

Echouage du TK Bremen sur la plage d’Erdeven (56)
(Source : ©️ Marine nationale)

L’affaire judiciaire

Suite à l’échouement, une instruction judiciaire a immédiatement été ouverte pour enquêter sur les circonstances de l’accident et une soixantaine de victimes se sont constituées partie civile. Cinq ans après l’accident, l’information judiciaire est close et le dossier est renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Brest avec pour seul prévenu le capitaine du navire pour délit de pollution des eaux territoriales par faute caractérisée ou violation manifestement délibérée d’obligation de sécurité ou de prudence.

Le 13 décembre 2018, le Tribunal correctionnel de Brest relaxe le capitaine du TK Bremen des fins de la poursuite au motif que le facteur déterminant et prépondérant de l’échouement du TK Bremen doit être analysé comme étant les conditions météorologiques extrêmement défavorables et changeantes survenues dans la nuit du 15 au 16 décembre 2011 et non les différentes décisions prises par le capitaine. Le Tribunal déboute, en conséquence, l’ensemble des parties civiles au procès de leurs demandes.

Nombreuses parties civiles ont fait appel de la décision, dont Vigipol. En revanche, le Procureur de la République, compte-tenu de la motivation du jugement et des carences des expertises judiciaires, a décidé de ne pas faire appel. En conséquence, l’audience d’appel portant uniquement sur les intérêts civils l’ensemble des parties civiles se sont désistées de leurs appels.

Le 8 novembre 2019, la Cour d’appel de Rennes constate le désistement des parties civiles et rend le jugement du Tribunal correctionnel de Brest pleinement exécutoire sur les dispositions civiles.

Que retenir de ce procès ?

  • Un capitaine seul mis en cause

L’armateur, le propriétaire et l’assureur n’ont jamais été ni auditionnés ni mis en cause dans cette affaire. Cela est regrettable car il aurait été fort utile de comprendre dans quelle mesure ils ont influé sur les décisions prises par le capitaine.

  • Des imprudences et négligences avérées de la part du capitaine
  • Une mauvaise évaluation des risques à l’origine de mesures inadaptées ou trop tardives
  • Des conséquences peu évoquées

Le navire s’est échoué sur un site sensible classé Natura 2000. Les conséquences environnementales de cet accident n’ont cependant pas du tout été abordées au cours des trois jours d’audience ; la présidente se contentant de préciser que la réalité de la pollution n’a pas été contestée.

La position de Vigipol


Une atteinte de plus à l’image de la Bretagne et aux intérêts des collectivités littorales

Conteneur échoué sur la commune de Trédrez-Locquémeau
(Source : ©️ Vigipol)

La Bretagne est régulièrement confrontée à des pollutions accidentelles ou volontaires qui affectent l’image du littoral, des collectivités et des populations riveraines qui sont victimes des agissements de professionnels négligents. C’est le fondement de Vigipol de défendre l’image et l’intérêt des territoires littoraux.

Les pollutions, quelles qu’elles soient, causent des préjudices réels aux collectivités littorales. Vigipol est donc fondé à agir pour défendre ses propres intérêts ainsi que ceux de ses adhérents.