Résurgences de l'Erika en Morbihan

(Source : Dunes Sauvages de Gâvres à Quiberon)
Fin novembre 2022, Vigipol est informé par le Syndicat mixte du Grand Site Dunes Sauvages de Gâvres à Quiberon (SMGSGQ) de la présence potentielle d’hydrocarbure sur une plage de Penthièvre (56). Une reconnaissance du site par un garde du littoral fait état d’une pollution par hydrocarbure, ancienne, enfouie dans la dune et de nouveau à l’affleurement de par l’érosion. Le volume de polluant est estimé à ce moment à 0,65 m3 et un échantillon est prélevé puis envoyé au Cedre.
Fin mars 2023, Vigipol reçoit un nouveau signalement du Grand Site lequel relance le Cedre sur le premier échantillon après avoir observé une quantité plus importante d’hydrocarbures à l’affleurement. Le 7 avril, le rapport d’analyse du Cedre sur le premier échantillon met en évidence une ressemblance entre l’hydrocarbure prélevé sur la commune de Plouharnel et le fioul de l’Erika.
Contexte de la résurgence
Suite à une érosion importante du massif dunaire de Penthièvre situé à cheval sur les communes de Plouharnel et Saint-Pierre-Quiberon, des plaques d’hydrocarbures ensevelis se découvrent sur 470 m de long. L’érosion découvre les plaques progressivement, les vagues les fragmentent et la pollution se disperse dans l’environnement. Fin mars, la quantité de polluant est alors estimée à 2,92 m3.
Mi-avril, un nouveau rapport du Cedre révèle de nouveaux éléments dans la reconnaissance de pollution sur la plage de Penthièvre. Le Cedre affirme que les résultats de l’analyse montrent que l’hydrocarbure échantillonné provient de la pollution de l’Erika, pétrolier ayant fait naufrage en décembre 1999 dans le Golfe de Gascogne.
Reconnaissance de la pollution
Deux ingénieurs du Cedre se sont rendus sur site afin d’évaluer l’importance de la pollution à l’affleurement et de réaliser auprès des autorités locales des recommandations pour son traitement. Sur un linéaire de 500 m, quatre formes d’hydrocarbures ont été observées :
- tâches de 3-4 cm de diamètre sur blocs rocheux
- encroutements déposés sur des traverses de chemin de fer utilisées en tant que dispositif de retenue de dune
- galettes de 30-40 cm de diamètre déposées sur le sable
- deux plaques semi enfouies en pied de dune
- plaque de 10 m x 50 cm (partie visible) x 5 cm d’épaisseur
- plaque de 3 m x 50 cm (partie visible) x 5 cm d’épaisseur
En ne considérant que la pollution visible au moment de la reconnaissance, le Cedre estime le volume d’hydrocarbure à moins de 500 L (la majeure partie sous forme de galette et plaque).

(Source : Dunes Sauvages de Gâvres à Quiberon)
Origine de la pollution
Deux éléments indiquent que la pollution fait suite au naufrage de l’Erika en décembre 2020 :
- Rapport d’analyse du laboratoire du Cedre entrepris sur un échantillon collecté le 29.11.2022 sur la commune de Plouharnel par un agent du Syndicat Mixte Dunes Sauvages de Gâvres à Quiberon. La signature chimique de cet échantillon a été comparée à la signature de l’échantillon de référence du fioul contenu dans les soutes de l’Erika selon le protocole CEN (Comité Européen de Normalisation). Le rapport d’analyse (Annexe 1) indique :
L’échantillon est constitué d’ydrocarbures. Les chromatogrammes montrent que l’échantillon est biodégradé (absence d’alcanes légers et UCM important).
L’analyse comparatives entre l’hydrocarbures prélevé sur la commune de Plouharnel et le fioul de l’Erika met en évidence une ressemblance entre les deux échantillons. Certains rapports entre des lomlécules montrent des différences mais qui peuvent être exploquées par des phénomènes de vieillissement (évaporation, photo-oxydation et biodégradation).
- Fiche de synthèse en date du 31.01.2000 (archive Cedre) réalisée par l’un des experts mobilisés par la DIREN (ex DREAL) sur la plage de Penthièvre au moment de la pollution de l’Erika. Ce rapport (annexe 2) mentionne :
Constat de la pollution :
- Persistance d’une pollution moyenne qui affecte le haut de plage :
- Plaquettes et miettes de pollution plus ou moins ensablées et incrustées de sable
- Croûtes de pollution ensablées et incrustées de sable sur la lisière de la végétation
- Végétation en partie souillée (en arrière des barrages, sur la dune embryonnaire, en lisière de la dune vive)
Considérant ces éléments et les observations faites lors de la reconnaissance du 12.04.2023, le scénario de la pollution correspond à un échouage (ou plusieurs) de plaques et galettes de fioul qui sont restées piégées en pied de dune derrière les traverses de chemin de fer. Compte tenu de la stabilisation de cette pollution (peu de remobilisation probable) derrière ce dispositif de protection de dune, de la sensibilité du pied de dune et de la probabilité de nouveaux échouages de fioul à cette date du 31.01.2000, l’expert DIREN a préconisé : « Le traitement devra attendre le plus tard possible pour ne pas avoir à être répété en cas de nouvelle pollution à ce niveau ».
Il paraît vraisemblable que suite à des mouvements de sédiment dans les jours suivants cette reconnaissance, les plaques et galettes ont été rapidement enfouies sans qu’une opération de ramassage n’ait eu le temps d’être organisée.
Depuis quelques mois, la pollution réapparaît maintenant progressivement au gré des phases d’érosion de la dune.
Rappels – Naufrage de l’Erika
Le 11 décembre 1999, le pétrolier battant pavillon maltais chargé de 30 884 tonnes de fioul lourd, en provenance de Dunkerque et à destination de Livourne (Italie), fait face à un très gros temps avec des creux de six mètres et un vent de force 8/9. À quelques dizaines de milles de la pointe sud-ouest de la Bretagne, le 12 décembre 1999, l’Erika plie et se brise en deux déversant 20 000 tonnes de fioul lourd en mer et 11 000 tonnes dans l’épave seront pompées.
Dès le 12 décembre, la préfecture maritime de l’Atlantique a déclenché le plan POLMAR Mer. À terre, le préfet du Morbihan déclenchera le plan POLMAR terre le 24 décembre 1999.
Au total, plus de 400 km seront polluées des côtes du Pays Bigouden dans le Finistère à l’île d’Oléron dans la Charente maritime. Les opérations de nettoyage ont durée jusqu’à l’été 2002 et le traitement des déchets jusqu’à août 2004.
Au cours des deux années et demie, on distingue quatre phases dans les opérations de nettoyage avec une répartition des rôles différentes au sein des nettoyeurs :
- du 24 décembre 1999 à fin janvier 2000 – Phase de ramassage grossier : efforts concentrés sur le retrait des arrivages les plus massifs. Les opérations sont réalisées par les unités constituées POLMAR (sapeurs-pompiers, militaires, personnels de la sécurité civile) et des bénévoles.
- de février à l’été 2000 – Priorité donnée au sauvetage de la saison touristique. Les moyens publics, humains et matériels, sont très fortement mobilisés, tandis que Total Fina augmente le nombre de ses chantiers. Dans le même temps, la mobilisation des bénévoles cesse brutalement à cause de la polémique dans les médias sur la toxicité du pétrole.
- été 2000 : à la demande de nombreux maires, les opérations de nettoyage ralentissent fortement, voire sont temporairement stoppées dans certaines secteurs.
- de l’automne 2000 à l’été 2002 : les opérations de nettoyage changent de forme. L’Etat se tourne davantage vers le secteur privé en lançant une série d’appels d’offre pour les sites encore fortement pollués. Le nettoyage est alors presque uniquement l’objet de sociétés privées, qui se révèlent plus compétentes et plus rentables en phase de nettoyage fin car les chantiers requièrent un plus grand savoir-faire. On trouve encore quelques rares moyens POLMAR (sapeurs-pompiers et CDD) jusqu’à l’automne 2001.
Après avoir été stockés sur les sites intermédiaires gérés dans le cadre du plan Polmar, les déchets ont progressivement été transportés sur des sites de stockage spécialement aménagés. Ensuite, TOTAL a pris en charge à la fois l’exploitation des sites et l’élimination des déchets. 200 millions de francs ont été provisionnés à cet effet par le groupe (Sénat, Rapport d’information n°441, Henri de Richemont, Erika : indemniser et prévenir (27.06.2000)).
Affaire juridique
Suite au naufrage, une instruction judiciaire a été ouverte pour enquêter sur les circonstances de l’accident. Un certain nombre de victimes se sont constituées partie civile dont le Conseil régional de Bretagne, le département du Morbihan, Vigipol et un certain nombre de communes mais aussi des associations de protection de l’environnement et des professionnels de la mer.
Près de cinq ans après le naufrage, l’instruction est clôturée en février 2005.Un an après, le juge d’instruction ordonne le transfert du dossier au Procureur de la République et envoi 15 personnes physiques et morales devant le Tribunal correctionnel de Paris des chefs de pollution maritime et complicité, de mise en danger délibérée de la vie d’autrui et complicité et d’abstention volontaire de prendre les mesures pour éviter la survenance d’un sinistre.
Décisions judiciaires
- Le 16 janvier 2008, le Tribunal correctionnel de Paris condamne pour délit de pollution des eaux ou voies navigables françaises : l’armateur, le commandant du navire, la société de classification RINA, la société Total SA (propriétaire du fioul). En revanche, seront relaxé un ingénieur naval, l’agent d’une société immobilière, le directeur d’Amarship, un officier de la marine marchande (commandant), Total transport corporation, TOTAL PETROLEUM SERVICES LTD, le directeur des transports maritimes chez TOTAL SA, un assistant technique, trois officiers de marine.
- Le 30 mars 2010, la Cour de Paris confirme le jugement sur l’action publique et reconnait la culpabilité de la société TOTAL SA qu’elle qualifie d’affréteur mais prononce son irresponsabilité civile.
- Finalement, le 25 septembre 2012, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel pour avoir exonéré la société Total SA de réparations civiles, juge la société TOTAL SA solidairement tenue de payer aux parties civiles les dommages-intérêts alloués par la Cour d’appel avec les autres prévenus et confirme la reconnaissance du préjudice écologique.
Dans cette affaire, l’armateur, le commandant, la société de classification et TOTAL SA ont été condamnés solidairement à payer :
- à l’Agent judiciaire du Trésor, 153 808 690,17 € en réparation du préjudice matériel et 75 000 € en application de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ;
- à Saint-Pierre-Quiberon :
- s’est constituée partie civile, suite à une délibération de son conseil municipal du 1er juin 2007 (pièce communiquée en première instance par son conseil)
- s’est désistée de son appel vis à vis de la SA TOTAL et de ses filiales, le 4 novembre 2009. Devant le tribunal, elle avait sollicité 2 000 000 € de préjudice environnemental et 500 000 € de préjudice moral
- 300 000 € en réparation de l’atteinte portée à sa réputation et à son image marque, au motif qu’il s’agit d’une commune située sur une presqu’île
- 1 500 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale
- 50 000 € pour la totalité des frais de procédure
Concernant Plouharnel, la Cour d’appel de Paris a constaté son désistement en raison de l’absence d’appel de la décision du TGI de Paris.
Ainsi, l’affaire étant close plus aucun recours ne peut être exercé contre Total.
Plus d’infos
Action engagées
Les contacts réguliers entre Vigipol et les gardes du Grand site ont permis à Vigipol d’être informé de la situation dès sa constatation en novembre 2022.
Par ailleurs, des échanges avec la DDTM du 56 et la préfecture maritime de l’Atlantique début avril ont permis à Vigipol d’être informé du lien étroit entre cette résurgence et le naufrage de l’Erika.
En parallèle, Vigipol a eu de nombreux échanges avec les agents et élus de Plouharnel et Saint-Pierre-Quiberon ainsi que les agents du Grand Site. Ces derniers ont notamment eu pour but de conseiller et d’assister les communes au mieux. En particulier, il leur a été conseillé de n’engager aucune dépense à ce stade et d’attendre la réponse de l’Etat face à cette situation.
Les communes ont toutes les deux pris des arrêtés.
Le Grand Site a balisé la zone, mis en place des panneaux informatifs et ramassé les morceaux qui se détachaient sur l’estran (moins d’1 m3).
Le 26 avril, une réunion a été organisée à Saint-Pierre-Quiberon réunissant les deux communes concernées, le Grand Site, le Directeur de la mer et du littoral de la DDTM 56, le Cedre, des agents de l’ONF, TotalEnergies et Vigipol. La DDTM a évoqué un accord de principe de prise en charge du traitement des déchets seulement. Il ressort de cette réunion :
- que les analyses du Cedre révèlent l’absence de risque pour l’environnement et que les éléments étudiés ne sont plus toxiques. Il n’y a pas non plus de risque de re-liquéfaction en cas de fortes chaleurs ;
- un consensus pour ne pas creuser la dune au risque de la fragiliser mais de retirer la pollution visible. Une surveillance régulière du site, notamment par les gardes littoraux du Grand site, permettra de déclencher de nouvelles collectes en fonction de l’évolution de la plage, de la dune et de l’apparition de nouvelles plaques ou galettes
- un accord de principe des services de l’Etat pour prendre en charge l’évacuation et le traitement des déchets collectés ;
- Les élus préfèrent que ce soit le Grand Site qui s’occupe de coordonner les opérations.
Les opérations de nettoyage se sont déroulées mi-mai avec les moyens du Grand Site de Gâvres à Quiberon et des services techniques des communes de Plouharnel et Saint-Pierre-Quiberon. Une convention avec l’État est en cours de validation pour une prise en charge par l’État des frais pour le traitement des déchets hydrocarburés.
Les gardes du Grand Site continuent de veiller sur la zone et de nouvelles traces de polluant ont été ramassées après l’opération de nettoyage organisée mi-mai.
Position de Vigipol
La résurgence de la pollution correspond, de façon certaine, à un reste de polluant issu des opérations de gestion des déchets lors de la marée noire de l’Erika. Ce polluant récupéré a été recouvert par le sable, il a alors été décidé de ne pas les enlever pour ne pas fragiliser le site dunaire. Dans le cadre du déclenchement du Plan POLMAR Terre, à l’époque, il revenait à l’Etat d’éliminer les substances polluantes dans la frange maritime côtière, de veiller à la restauration des sites de stockage primaires après évacuation des produits récupérés et de réhabiliter les sites dès la fin de leur exploitation.
Ainsi, au vu de la situation, il semblait claire que les coûts liés à la gestion de cette pollution relève en partie de la responsabilité de l’Etat et pas seulement aux collectivités. Ce qui a été convenu lors de la réunion multipartites.
La presse en parle
- Le Télégramme, Presqu’île de Quiberon : une pollution aux hydrocarbures rappelle l’Erika, 07.04.2023